En République démocratique du Congo, une nouvelle affaire pourrait entacher la réputation du secteur bancaire. Un ancien employé d’Access Bank RDC, Israël Kaseya, est poursuivi pour faux et usage de faux et est soupçonné d’avoir détourné plusieurs centaines de milliers de dollars. Mais pour son avocat comme pour ses proches, il s’agit d’un harcèlement judiciaire contre un lanceur d’alerte puni pour avoir dénoncé l’existence au sein de cette banque de comptes liés à des sociétés sous sanctions américaines et autres pratiques illégales. Enquête.

Israël Kaseya est un pur produit Access Bank. Il a été recruté il y a huit ans et a suivi plusieurs formations internes. Au sein de l’équipe de direction, on ne le cache pas : « Access Bank, c’était son premier employeur. On l’a envoyé au Nigeria pendant quatre mois. La banque avait investi sur cet agent. » D’où la déception, toujours selon ce haut cadre, de voir les performances d’Israël Kaseya baisser en 2019 et de découvrir plus tard ses malversations. Pour cette filiale congolaise d’une des grandes banques nigérianes, cet employé jusque-là modèle aurait franchi la ligne rouge l’an dernier en détournant des fonds sur des crédits qui devaient être accordés à des salariés.

Le 10 mai 2019, la direction des ressources humaines l’aurait rappelé à l’ordre, pointant « la détérioration de son portefeuille M-powers (crédit accordé à un salarié avec la caution de son entreprise, ndlr) ». « C’est sur ce crédit salarié que M. Israël Kaseya a commis des malversations. Il n’y avait pas les remboursements attendus, mais on n’avait pas encore de soupçons », assure encore le responsable d’Access Bank. « Il a monté des sociétés fictives ou prenait des vraies sociétés mais créait des salaires imaginaires. » La justice congolaise le poursuit pour « avoir obtenu la sortie de fonds de l’ordre de 563 000 dollars au préjudice de son employeur. » Mais la direction congolaise de la banque dit le soupçonner d’avoir détourné par ce biais quelque 2 millions de dollars.

Des centaines de milliers de dollars détournés via un crédit salarié ?

Les accusations de la direction d’Access Bank RDC agacent l’avocat de l’ancien banquier. Me Jean-Didier Bakala dénonce de fausses accusations et brandit d’abord un document daté du 29 avril 2019 et signé par le directeur de la banque et son responsable des ressources humaines qui octroie à Israël Kaseya un « A », la meilleure note pour sa « contribution louable à la banque ». L’avocat s’indigne ensuite de voir Access Bank suggérer que son client menait des actions sans supervision : « Depuis quand un crédit est approuvé par un simple responsable commercial ? Qu’a fait le responsable des risques et crédits ? On va nous faire croire qu’il n’a rien contre-vérifié ? »

Du côté de la banque, on explique que le crédit M-powers avait des « conditions très souples ». « Il suffisait que l’employeur puisse écrire une lettre de domiciliation de salaire et se porter caution pour ledit crédit », explique le responsable de la banque. « Si vous aviez un salaire de 1 000 dollars, 2 000 dollars, vous pouvez avoir un crédit de 60 000 ou même 100 000 dollars. » L’objectif était « d’attirer un maximum de salaires dans nos livres », mais M. Kaseya aurait détourné cette idée destinée à améliorer l’accès au crédit des personnes salariées à son propre profit.

Les deux parties s’accordent à dire qu’Israël Kaseya a été suspendu « à des fins d’enquête » entre le 6 et le 20 décembre 2019 et qu’il a pu reprendre son travail à l’issue de cette période sans autre sanction, qu’il a été arrêté une première fois en février suite à une plainte d’Access Bank RDC contre un client qui n’aurait pas remboursé un crédit et que la plainte a finalement été classée sans suite. La banque et la défense de son ancien employé ne contestent ni l’une ni l’autre qu’il y a eu un conseil disciplinaire en avril 2020 qui a abouti le 11 mai à un licenciement, à une deuxième arrestation et au procès en cours. Mais sur le fond, les deux versions ne peuvent pas être plus divergentes.

Des dizaines de milliers de dollars en frais bancaires illégaux ?

La banque dit avoir pointé les mauvais résultats de M. Kaseya à deux reprises en 2019, mais n’avoir eu des « soupçons sérieux » de malversations commises qu’à partir de novembre 2019. Si elle a attendu six mois pour le licencier et pour porter plainte contre lui, c’était pour lui laisser, par considération pour son travail passé, « toutes les opportunités de se défendre. » Mais le haut cadre contacté par RFI assure que Access Bank détient toutes les preuves de ces malversations : faux contrats, témoignages de faux salariés, signes d’enrichissement personnel de lui comme de ses proches. « C’est bien documenté », a-t-il déclaré, assurant « en découvrir encore tous les jours. »

Pour les proches de l’ancien banquier, Israël Kaseya est un « lanceur d’alerte » dégoûté des pratiques instaurées par une nouvelle direction en place depuis trois ans. « Après l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, il a voulu dénoncer sans fuir. En juin 2019, il a commencé à parler ouvertement en réunion de frais énormes qui étaient imputés sur des comptes de clients et qui dépassent les montants de leurs remboursements mensuels », explique l’un d’eux. « À partir de ce moment-là, le DG ne lui a plus parlé et Israël a commencé à avoir des ennuis. »

En novembre 2019, toujours selon ce proche, M. Kaseya serait parvenu à obtenir le remboursement de plus de 60 000 dollars de frais pris sur des comptes. « Il avait recommandé à ses clients de se plaindre via leurs cabinets-conseils et écrit des mémos pour les défendre », raconte encore ce proche, assurant qu’il s’agissait là du véritable motif de sa suspension de décembre. La banque dément pour sa part appliquer des frais qui ne soient pas mentionnés dans les contrats qui la lient à ses clients et assure même qu’il s’agit de frais de supervision autorisés par la Banque centrale.

Des comptes liés à des sociétés sous sanctions américaines ?

Pour ce qui est de ses ennuis judiciaires, selon ses proches, Israël Kaseya les devrait à des dénonciations beaucoup plus sérieuses encore. Access Bank aurait autorisé l’ouverture de comptes à des sociétés liées à des entreprises ou personnalités sous sanctions américaines. Ils évoquent les noms de Saleh Assi, propriétaire de Mino Congo et Pain Victoire, et d’Ahmed Tajeddine, le patron de Congo Futur, respectivement épinglés par le Trésor américain en décembre 2019 et 2010 pour des soupçons de financement du mouvement politico-militaire libanais chiite Hezbollah, soutenu par l’Iran et qualifié de terroriste. L’histoire pourrait ressembler aux accusations formulées ces dernières semaines par deux ONG, Global Witness et la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF), à l’encontre d’une autre banque commerciale, Afriland.

À en croire les proches de M. Kaseya, Congo Futur aurait ouvert des comptes pour plus d’une dizaine de sociétés-écrans. Et ils citent des noms : Glory Group, Somodec, Best building company, Africa continent food Congo, Afri food, Golden falcon company, JV mining company, General Trade company… « Israël racontait que il y a les deux mêmes personnes qui valident les transactions pour toutes ces sociétés, preuve d’un lien entre elles, et que personne ne pouvait l’ignorer », explique encore le proche du banquier. « Lui-même avait refusé un crédit de cinq millions de dollars en novembre à l’une de ces sociétés en formulant ouvertement ses soupçons à la direction. »

« C’est entièrement faux », rétorque le responsable de la banque. « Les Libanais, ils ont tous les mêmes noms, ça peut prêter à confusion, mais en réalité, il ne s’agit pas des mêmes personnes. » Access Bank RDC dit avoir vérifié toutes les allégations, mais n’y trouve aucun fondement. « Nous n’avons jamais eu de comptes liés à Congo Futur. Glory Group avait ses bureaux dans un immeuble lui appartenant, mais la société a même déménagé pour éviter des problèmes », ajoute encore le haut cadre de la banque, avant d’insister sur le caractère opportuniste de ces déclarations et les risques qu’elles font courir à la banque. Si les faits sont avérés, Access Bank RDC pourrait se voir interdire de faire des transactions en dollars, une catastrophe dans un pays à l’économie presque entièrement dollarisée depuis 30 ans.

Près de 8 millions retirés d’un compte suspect

Access Bank vante la qualité de ses procédures. Ce seraient elles et non Israël Kaseya qui lui auraient permis d’identifier les comptes d’une société lié à Saleh Assi et son célèbre Pain Victoire. « On en a fait rapport à la cellule nationale de renseignements financiers et bloqué les comptes du client jusqu’à ce jour », explique encore le haut cadre de la banque. « On les bloque pour empêcher le client de blanchir l’argent et de faire d’autres bêtises. »

Le 16 décembre 2019, dans les jours qui suivent l’annonce par le Trésor américain de sanctions contre le libanais Saleh Assi et ses sociétés Mino Congo et Pain Victoire, le président Félix Tshisekedi instruit son gouvernement de les faire appliquer en RDC. Le 30 décembre, une société inconnue appelée « Pain de Ville » ouvre un compte en dollars à Access Bank. Selon les informations recueillies par RFI, en l’espace de quelques jours, plusieurs millions de dollars y sont versés en liquide.

« Israël s’est tout de suite méfié et s’en est ouvert auprès de collègues », assure pour sa part un proche. « Pain de Ville, c’est un nom proche de Pain Victoire et des millions versés en liquide sur un compte nouvellement ouvert sont presque toujours synonymes d’une opération de blanchiment. » Qui que soit celui qui a lancé l’alerte, ce compte est clôturé le 19 février 2020 sur un solde nul. L’intégralité des 7,9 millions de dollars qui y avaient été versés en liquide a été retirée par virements.

Jean-Jacques Lumumba est abasourdi. Le premier lanceur d’alerte du Congo et petit-neveu du héros de l’indépendance a lui-même travaillé à Access Bank quelques semaines en 2014, avant d’être recruté à la BGFI Bank, une société dont il a dénoncé les pratiques trois ans plus tard. « Ça me surprend un tel niveau de négligences pour une banque autrefois si méticuleuse », explique l’ancien banquier. « Access Bank ne peut pas mettre presque deux mois à réagir quand il y a des mouvements suspects de plusieurs millions de dollars sur un compte ou prendre six mois pour sanctionner un employé qu’elle accuse de telles malversations. »

M. Lumumba se refuse à se prononcer sur le fond des accusations dont M. Kaseya fait l’objet, assurant ne pas disposer de suffisamment d’informations pour infirmer ou confirmer les accusations de la banque. « Mais ce que disent les proches d’Israël Kaseya sur Congo Futur, on a constaté les mêmes pratiques à la BGFI. Ce groupe a toutes les facilités pour créer des sociétés qui n’existent que de nom et y associer des identités de faux gestionnaires ou actionnaires », explique-t-il encore avant d’ajouter : « Tout ça, ce n’est pas l’esprit de la Access Bank que je connaissais. En 2014, il y avait plusieurs niveaux de validation, même pour 1 000 dollars et tout passait par la maison mère au Nigeria. »

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