35 ans après le pionnier Wole Soyinka, l’écrivain tanzanien de 72 ans Abdulrazak Gurnah vient de remporter le prix Nobel de littérature. Une victoire pour celui qui a quitté la Tanzanie adolescent et est devenu écrivain « par accident » en Grande-Bretagne. Meurtri par son épopée personnelle, sa quête d’identité, Abdulrazak Gurnah écrit ses séquelles. Celles de l’exil, celles de son amour pour l’Afrique et de son combat contre le néo-colonialisme.

A l’annonce, ce 07 octobre, du choix de l’académie suédoise pour le prix Nobel de littérature, de nombreux médias manifestent leur étonnement. Loin des favoris annoncés par la presse spécialisée, l’institution chargée de choisir le prix Nobel de littérature a jeté son dévolu sur le tanzanien Abdulrazak Gurnah. 

« J’ai cru que c’était une blague.»

Le choix n’a pas surpris que les médias.  « J’ai cru que c’était une blague, parce que ces choses sont généralement annoncées des semaines à l’avance. Je me demandais même qui allait le gagner », confie le prix Nobel 2021. Il faut dire que pour cet immigré qui considère être arrivé à l’écriture par accident, le Nobel n’était pas forcément un objectif de première nécessité.

Sur le départ

A toutes les époques de sa vie, l’histoire d’Abdulrazar Gurnah semble avoir toujours été marquée par des départs ou des exils. Les premiers sont survenus avant sa naissance mais joueront un rôle capital dans la vie de l’écrivain. Il s’agit des voyages des peuples bantous, perses et arabes vers l’Ile de Zanzibar, en Afrique de l’Est, qui devient un véritable modèle d’hétérogénéité culturelle. Abdulrazak Gurnah y nait le 20 décembre 1948 dans une famille arabe, avant que le territoire ne fusionne, en 1964, avec le Tanganyika pour former la République unie de Tanzanie. Ayant déjà dû s’adapter au modèle d’éducation hybridé entre celle donnée par les familles musulmanes et celle envisagée par le colon britannique, Abdulrazak Gurnah va devoir à nouveau intégrer de grands changements dans son quotidien. Il devra notamment fuir la Tanzanie en 1968 à cause de la persécution orchestrée par le régime d’Abeid Karume contre les citoyens d’origine arabe. 

Il devra notamment fuir la Tanzanie en 1968 à cause de la persécution orchestrée par le régime d’Abeid Karume contre les citoyens d’origine arabe.

Abdulrazak Gurnah s’exile alors, à l’âge de 18 ans, au Royaume-Uni. Ce départ sera très présent dans son œuvre littéraire faisant d’Abdulrazak Gurnah un écrivain de l’exil.

Ecrivain par accident

En Grande-Bretagne, Abdulrazak Gurnah étudie l’anglais au Christ Church College avant de poursuivre un cursus en littérature, matière qu’il finit par enseigner à l’université de Kent. Dans cet intervalle, le natif de Zanzibar vit en tant que réfugié. Ce n’est qu’en 1984 qu’il peut retourner à Zanzibar, ce qui lui permet de revoir son père peu avant qu’il meurt. Son exil, le mélange des cultures, l’adaptation au style de vie britannique et la nostalgie lui donnent régulièrement matière à penser. Face à ces blessures, Abdulrazak Gurnah trouve l’écriture comme catharsis. « J’ai commencé à écrire (à l’âge de 21 ans ; NDLR) avec désinvolture, dans une certaine angoisse, sans aucune idée de plan mais pressé par le désir d’en dire plus », confie-t-il. Il commence par écrire en swahili, sa langue maternelle. Les premiers livres sont plutôt nostalgiques et vaudront à l’écrivain le surnom de « mémoire de Zanzibar », tant il réussit à sceller au fil des lignes de ses livres de grandes parts de l’histoire de son île natale.

Il commence par écrire en swahili, sa langue maternelle. Les premiers livres sont plutôt nostalgiques et vaudront à l’écrivain le surnom de « mémoire de Zanzibar ».

Il publiera ensuite une dizaine de romans et plusieurs nouvelles en anglais. Aucun ne deviendra un best-seller, mais l’œuvre dans sa globalité fournira un regard différent sur des questions comme l’immigration ou la multiplicité de cultures. Au final, c’est cela qui distingue le Tanzanien. Selon l’académie suédoise, il est récompensé pour son récit «empathique et sans compromis des effets du colonialisme et du destin des réfugiés pris entre les cultures et les continents». De quoi ravir un auteur qui a toujours privilégié l’authenticité à la notoriété.

L’exil comme thème central

Dans ses huit romans Abdulrazak Gurnah évoque, en plus de la luxuriante diversité culturelle de Zanzibar, le déplacement et ses conséquences sur les vies. Chaque personnage devient une thérapie pour des épisodes vécus ou non par l’auteur.  Il évoque le colonialisme, l’esclavage et tout ce qui a pu contribuer à pousser des personnes à quitter leurs terres.

« Ils ne viennent pas les mains vides. Beaucoup d’entre eux sont des personnes talentueuses, énergiques. N’accueillez pas les gens comme s’ils étaient des misérables.» 

Dans ses livres, l’auteur évoque des personnages souffrant de divers liens d’appartenance. Ayant quitté leur territoire d’origine, ils y sont rattachés par le passé qui, comme une lancinante douleur, leur rappelle ce qu’ils ont perdu. « Voyager loin de chez soi offre de la distance et de la perspective, ainsi qu’un degré d’amplitude et de libération. Cela rend plus intenses les souvenirs, qui sont l’arrière-pays de l’écrivain », philosophe le natif de Zanzibar. Pour compenser, ses personnages tentent de nouer de nouvelles relations avec le territoire où ils ont émigré alors qu’ils ne pensent qu’à leur terre d’origine. Une situation que connait bien Abdulrazak Gurnah qui retourne toujours à Zanzibar de temps en temps pour se ressourcer.

Sa situation en fait une des personnes les mieux placées pour évoquer les questions de migrations, très présentes dans l’actualité européenne ces dernières années. « Ce phénomène de l’arrivée en Europe de personnes originaires d’Afrique est relativement nouveau, mais, les Européens qui se répandent dans le monde, ça, ça n’a rien de nouveau. Nous en avons eu durant des siècles. Je pense donc que la raison pour laquelle il est si difficile pour l’Europe d’accepter cela est peut-être une sorte de… eh bien, pour faire court, une sorte d’avarice, comme s’il n’y avait pas assez pour tout le monde. Pourtant beaucoup de ces gens viennent par besoin primaire, mais ils ont quelque chose à donner. Ils ne viennent pas les mains vides. Beaucoup d’entre eux sont des personnes talentueuses, énergiques. N’accueillez pas les gens comme s’ils étaient des misérables.  Pensez-y comme si vous fournissiez d’abord de l’aide à des personnes qui sont dans le besoin, mais qui peuvent apporter quelque chose », explique Abdulrazak Gurnah.

« Ce phénomène de l’arrivée en Europe de personnes originaires d’Afrique est relativement nouveau, mais, les Européens qui se répandent dans le monde, ça, ça n’a rien de nouveau.» 

A ce jour, sur la dizaine de romans d’Abdulrazak Gurnah, trois seulement sont traduits en français. Il s’agit de « Paradise » publié en 1994, présélectionné pour le Booker Prize, « Près de la mer », publié en 2006, également présélectionné pour le Booker Prize, ainsi qu’ « Adieu Zanzibar » publié en 2017.

« Voyager loin de chez soi offre de la distance et de la perspective »

Le premier auteur africain à recevoir la plus prestigieuse des récompenses littéraires depuis 2003 devrait donc arriver en masse dans les bibliothèques francophones durant les prochaines semaines. En sacrant une œuvre qui traite du colonialisme et de l’émigration, après de récentes critiques pour son eurocentrisme, l’Académie suédoise a mis l’écrivain dans une position un peu compliquée. Pour éviter des accusations de politisation de la récompense, le président du comité Nobel a réaffirmé en début de semaine que le «mérite littéraire demeurait le critère absolu et unique».

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