Sous le vernis séduisant du « développement durable » se cache une mécanique de prédation savamment orchestrée. Depuis Singapour, Gagan Gupta, PDG du groupe OLAM, tisse une toile agro-industrielle et logistique qui s’étend du Gabon au Togo, du Tchad à la Côte d’Ivoire, en passant par le Nigeria et le Congo. Derrière les discours de prospérité et de modernisation, se dessinent des pratiques d’accaparement de terres, de déforestation et de prise de contrôle de filières agricoles stratégiques.
Gabon : la souveraineté en péril
Au Gabon, OLAM Palm Gabon a défriché plus de 24 000 hectares de forêts primaires, dont certaines zones à haute valeur de conservation, selon le Forest Stewardship Council (FSC). Ces terres, autrefois sanctuaires pour les communautés locales, ont été transformées en plantations industrielles de palmiers à huile et de caoutchouc.
« Les ancêtres nous avaient laissé un sanctuaire, OLAM nous a laissé un désert », déplore Jean-Rémy Obiang, chef du village de Mbadi.
Mais la présence d’OLAM ne se limite pas à l’agriculture. À travers sa filiale Arise IIP, le groupe contrôle désormais l’aéroport international de Libreville, infrastructure stratégique du pays. Le scandale du gisement de fer de Milingui, transféré discrètement à A2MP Investment DMCC au détriment des investisseurs locaux, illustre la logique de captation d’actifs publics. Pour beaucoup, le Gabon est devenu un laboratoire du modèle OLAM : celui d’une intégration verticale totale, où ressources, infrastructures et décisions échappent à l’État.
Congo-Brazzaville : exploitation du bois et des ports
Au Congo, OLAM s’est imposé comme un acteur incontournable du commerce du bois. Les ONG locales dénoncent la sous-évaluation systématique des exportations et le transfert des bénéfices à l’étranger, privant le pays de recettes fiscales substantielles.
Les populations locales, marginalisées, voient leurs forêts disparaître tandis que la valeur ajoutée est captée hors du territoire.
Nigeria et Côte d’Ivoire : cacao et riz sous contrôle
Dans les deux plus grandes économies d’Afrique de l’Ouest, OLAM domine la transformation du cacao et la distribution du riz. En Côte d’Ivoire, les producteurs se plaignent de prix imposés et d’une dépendance croissante vis-à-vis du géant singapourien.
Selon Mighty Earth et Farmlandgrab.org, OLAM utilise sa position dominante pour verrouiller la chaîne de valeur, de la production à la commercialisation.
Cette situation limite la compétitivité des acteurs locaux et alimente un modèle où la richesse agricole africaine sert avant tout à nourrir les profits d’un conglomérat étranger.
Togo : la filière coton en otage
Au Togo, le groupe singapourien OLAM a pris en 2020 le contrôle de la Nouvelle Société Cotonnière du Togo (NSCT), jusque-là fleuron d’une filière cotonnière structurée et dynamique. Depuis, la Fédération nationale des groupements de producteurs de coton (FNGPC-COOP CA) accuse OLAM de pratiques graves : gestion opaque, abus de pouvoir, rapatriement illicite de fonds et mépris des engagements envers les producteurs. Dès son arrivée, OLAM a écarté le comité multipartite réunissant auparavant l’État et les représentants paysans, supprimant tout contre-pouvoir et concentrant entre ses mains l’ensemble des décisions relatives à l’achat, à la transformation et à la vente du coton. Désormais, l’entreprise fixe seule les prix et les conditions de vente sur les marchés internationaux, imposant ses choix aux producteurs et contrôlant la distribution des intrants — engrais, semences et pesticides — autrefois gérée par la fédération. Les producteurs se retrouvent ainsi réduits à de simples exécutants, dépendants d’un système dont ils ne maîtrisent ni les règles ni les revenus, et leur autonomie est fortement compromise.
Sur le plan financier, les accusations sont tout aussi lourdes. La FNGPC reproche à OLAM d’avoir transféré à l’étranger les bénéfices générés par la NSCT, privant les acteurs locaux de toute retombée économique. Depuis 2020, aucun dividende n’a été versé aux producteurs, pourtant actionnaires à hauteur de 25 % du capital, et le groupe évoque une dette de 14 milliards de francs CFA qu’il chercherait à faire supporter aux producteurs dans un contexte d’opacité budgétaire totale. Le directeur général de la NSCT, Martin Drevon, dont le mandat a expiré en décembre 2024, reste en poste, renforçant la perception d’un climat d’intimidation et d’irrégularités.
Face à ces pratiques, les producteurs ont pris des mesures de protestation. En avril 2025, ils ont suspendu provisoirement toute relation avec la NSCT, adressant un mémorandum au ministre de l’Agriculture, Antoine Gbegbeni. Cette suspension fait suite à des difficultés financières, à une mauvaise gestion de la filière et au non-respect des mesures promises par OLAM. Déjà en juin 2024, les producteurs avaient exprimé leur mécontentement et sollicité l’aide du Président Faure Gnassingbé. Pour apaiser les tensions, le ministre avait créé un comité tripartite regroupant la FNGPC, la NSCT et l’État pour superviser la filière, mais près d’un an plus tard, aucune réunion n’a été tenue et les producteurs restent maltraités et lésés financièrement.
Les problèmes persistent sur plusieurs fronts. La FNGPC finance elle-même les charges qui devraient être couvertes par la filière, contrairement à d’autres pays de la sous-région. La prime de commercialisation prévue depuis 2013 n’a pas été ajustée malgré l’inflation, et la NSCT bloque le processus d’augmentation de 5 FCFA/kg à 15 FCFA/kg. Les créances des campagnes précédentes n’ont pas été reversées et la NSCT doit encore d’importantes sommes à la fédération pour le différentiel prix de la campagne 2020-2021. Les superficies réellement cultivées sont volontairement sous-estimées pour donner l’illusion de rendements plus élevés : lors de la campagne 2023-2024, 105 000 hectares ont été réellement emblavés, mais la NSCT n’en retient que 86 000 hectares. Le mécanisme de fixation du prix du coton graine n’a pas été mis à jour, l’ancien taux d’égrainage de 41 % étant appliqué alors que les réalisations dépassent 42 %, et le prix de vente reste fixé à 70 FCFA alors que le marché est à 150 FCFA, entraînant des pertes importantes pour les producteurs.
Les conséquences économiques sont sévères. La filière, autrefois prospère, est désormais en difficulté, la production nationale a fortement chuté et le coton togolais est largement contrôlé par une multinationale étrangère, illustrant une dépossession méthodique d’une filière stratégique. « Ce qu’il fait, c’est du pillage organisé sous couvert de modernité. Le colon du XXIᵉ siècle ne porte plus de casque, il signe des protocoles d’accord », résume un économiste togolais. En réaction, les autorités ont nommé Nana Nanfamé à la tête de la NSCT, signe d’une volonté de reprendre la main, mais les producteurs réclament des mesures plus radicales, la fin de la domination d’OLAM ou, à tout le moins, une refonte complète de la gouvernance du coton, fondée sur la transparence et la participation des acteurs nationaux. Pour eux, l’équation est simple : sans réforme, la filière est condamnée à l’asphyxie.
Tchad : les paysans en résistance
Dans le Logone-Occidental, OLAM et sa filiale Arise IIP ont acquis plus de 11 500 hectares pour le projet Laham Tchad, sans respecter les droits fonciers coutumiers. Les éleveurs dénoncent la perte de leurs pâturages.
« Ils ont tué le coton, ils veulent maintenant attaquer l’élevage », alerte Dominique Madidengarti, responsable coopératif soutenu par l’Église locale.
Un modèle de domination économique
Partout où il s’implante, OLAM applique le même schéma : séduire par des promesses d’investissements massifs, obtenir des concessions, puis verrouiller la filière par des sociétés satellites.
Ce modèle d’intégration verticale, souvent salué pour son efficacité industrielle, se révèle être une stratégie d’appropriation économique. Les États perdent progressivement le contrôle de leurs filières agricoles, de leurs ports, de leurs mines — et, in fine, de leurs marges de manœuvre souveraines.
À la croisée des chemins
Face à ce capitalisme prédateur, les populations rurales, ONG et syndicats agricoles commencent à s’organiser. Leur message est clair :
« L’Afrique n’est pas à vendre. »
Le continent doit décider. Continuer à se plier aux diktats des prédateurs internationaux ou reprendre le contrôle de ses terres, de ses infrastructures et de ses filières agricoles.■
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