Il ne pouvait pas, alors que le génocide au Rwanda battait son plein, ne pas comprendre ce qui se déroulait. Au procès à Paris de l’ancien médecin Sosthène Munyemana, les avocats des parties civiles ont décrit jeudi un homme qui s’est “perdu” dans ses “mensonges”.
Le médecin de 68 ans, aujourd’hui retraité et qui vit dans le Sud-Ouest de la France depuis septembre 1994, est jugé depuis le 13 novembre devant la cour d’assises de Paris notamment pour génocide et crimes contre l’humanité. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
Il est soupçonné d’avoir joué un rôle dans les massacres en signant une motion de soutien au gouvernement intérimaire institué après l’attentat contre l’avion du président hutu Juvénal Habyarimana, qui a encouragé les tueries commises entre avril et juillet 1994, dans lesquelles plus de 800 000 personnes sont mortes.
On lui reproche aussi d’avoir mis en place des barrières et des rondes à Tumba, dans la préfecture de Butare (sud du Rwanda), au cours desquelles des personnes ont été interpellées avant d’être tuées, et d’avoir détenu la clé d’un bureau de secteur où étaient enfermés des Tutsi avant leur exécution.
Tout au long des cinq semaines d’audience, Sosthène Munyemana n’a eu de cesse de contester ces accusations, affirmant avoir été un Hutu modéré qui avait au contraire tenté de “sauver” des Tutsi en leur offrant “refuge” dans le bureau de secteur.
Cet homme, qui était un ami proche notamment du chef du gouvernement intérimaire Jean Kambanda, condamné par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), a dit de nombreuses fois qu’il avait mis du temps à réaliser ce qui se passait réellement dans le pays, et a dénoncé des poursuites ourdies par le pouvoir actuellement en place au Rwanda.
“Il s’est présenté devant vous comme quelqu’un qui n’a rien vu, rien entendu, rien dit”, observe François Epoma, avocat d’une vingtaine de parties civiles dans ce procès.
Pourtant, “dès le 7 avril” 1994, date à laquelle les tueries commencent, “les rumeurs de massacres se propagent dans tout le pays”, rappelle Mathilde Aublé, une des avocates de l’association de rescapés du génocide Ibuka et d’une trentaine de personnes physiques.
“Butare n’est pas Kigali”, la capitale du Rwanda, “mais Butare n’est pas sourde”, ajoute-t-elle.
“Inlassablement, Sosthène Munyemana a cherché à nous entraîner dans un monde où on n’écoute pas la radio, un monde où on ne regarde pas au dehors, un monde où on ne sent pas la violence croître”, raille Matthieu Quinquis, avocat de la Licra, pour qui l’accusé s’est “enfermé avec ses mensonges”. “Je crains qu’il ne s’y soit perdu”, ajoute-t-il.
Or “cette ligne de défense ne tient pas”, estime Justine Vinet, une des conseils de la Fédération internationale des droits humains (FIDH). Cet “universitaire, gynécologue”, était “pleinement intégré dans la vie publique et politique au Rwanda”.
“Peut-on avoir en la personne de Sosthène Munyemana affaire au seul citoyen qui ne comprend pas le message du gouvernement ?” s’interroge Hector Bernardini, qui défend notamment l’association Survie.
“L’accusé que vous avez devant vous, c’est aussi l’intellectuel de Butare dont la motion de soutien au gouvernement intérimaire a été diffusée” à la radio, donnant le coup d’envoi aux massacres dans cette région qui en avait jusqu’alors été épargnée, souligne Richard Gisagara, avocat de l’association Communauté rwandaise de France.
C’est un “ami proche de Jean Kambanda qui essaie de nous convaincre qu’il n’a jamais parlé politique” avec lui, poursuit-il, voyant un homme qui “adapte son discours aux circonstances du moment”.
Pour Simon Foreman, conseil du Collectif des parties civiles pour le Rwanda, Sosthène Munyemana a “mis en place des éléments de langage”, affirmant que toutes les personnes ayant témoigné contre lui avaient menti. Mais “cette défense +tous menteurs+ conduit à une impasse”, estime l’avocat.
Le ministère public doit commencer vendredi à rendre ses réquisitions et la défense plaider lundi. Le verdict est attendu mardi.